16

La cagoule de Néoprène de la combinaison de plongée et le camail de la cotte métallique ont amorti le coup, si bien que Peggy reprend connaissance avant Wong qui gît à quelques mètres de la grue. Le bord du bassin est constellé de grandes flaques dans lesquelles une foule d’intrus semblent avoir piétiné. La jeune femme se penche sur l’Asiatique. Il a une coupure au front qui a saigné d’abondance. Elle l’asperge d’eau de mer. Il grimace quand le sel pénètre dans la plaie. Il ouvre enfin les yeux.

— Ce sont tes clients ? interroge Peg. Ils sont venus prendre livraison du requin ?

Elle lance cela au hasard, sans trop savoir comment les mystérieux commanditaires de Wong auraient pu être au courant de la présence du cylindre dans l’estomac du « tigre ». Mais, après tout, pourquoi n’auraient-ils pas suivi Brandon lorsqu’il a « nourri » le squale ?

Elle n’a pas le loisir de s’interroger plus avant. Wong secoue négativement la tête.

— Non, grogne-t-il en s’explorant le front du bout des doigts. C’étaient des infirmes… Ils ont surgi alors que je déposais la « baignoire » sur le quai. Ils m’ont surpris.

— Des infirmes ? répète Peg aussitôt en alerte.

— Oui, il y avait un pick-up arrêté devant la grille, ils ont dû en descendre. Je ne sais pas comment ils sont entrés. Tu avais pourtant tout fermé…

Peggy serre les mâchoires. Les hommes de Boyett ! Ils n’ont jamais cessé de la surveiller. Dès qu’ils ont compris qu’elle s’apprêtait à sortir un squale du bassin, ils ont prévenu leur chef. L’opération a été improvisée pendant qu’en compagnie de Wong elle affrontait les requins rendus fous par le sang de bœuf lyophilisé.

— Ils ont dû court-circuiter la serrure à l’aide d’un passe électronique, soupire-t-elle. Je pense qu’ils attendaient cette occasion depuis longtemps.

Elle se redresse. Il n’est guère difficile de reconstituer les événements. Sitôt Wong assommé, les adhérents de l’EAC ont chargé la « baignoire » sur le pick-up. Le requin est déjà au siège du Club à l’heure qu’il est, on a dû le faire basculer dans la piscine d’eau de mer creusée dans le jardin. Boyett est parvenu à ses fins, il le tient enfin, son objet de catharsis ! Il va pouvoir organiser le grand sacrifice libératoire dont il rêve depuis des années.

— Ils m’ont frappé avec une béquille, grogne Wong. J’ai été stupide, je l’avoue, mais la vue de ces mutilés en train de clopiner m’a pris de court. J’ai pensé qu’ils risquaient de déraper dans les flaques et de tomber à l’eau…

— Ils ont volé le requin, siffle Peggy. Il y avait des mois qu’ils attendaient cette occasion. Ils vont le massacrer, le torturer, puis le faire exploser. Boyett m’a expliqué tout ça dans le détail à dix reprises. C’est une véritable obsession chez lui. Ça va se passer dans les jardins du Club.

Wong ne cache pas son inquiétude.

— Il faut le récupérer avant qu’ils ne le mettent en pièces, lance-t-il. S’ils le font exploser, ou s’ils lui tirent dessus avec du gros plomb, le container peut être endommagé, percé même. Ce serait une catastrophe.

Peggy se débarrasse de sa combinaison, la colère lui insuffle un regain d’énergie. Elle n’admet pas de s’être fait souffler le « tigre » par la bande d’éclopés hallucinés au service de Larker Boyett. Elle n’avait jamais sérieusement envisagé que le président de l’EAC réussirait un jour à la berner. Elle l’a sous-estimé, c’était une grave erreur. Elle comprend qu’il est fou, réellement, et qu’il ira jusqu’au bout de son délire avec l’espoir de se débarrasser une fois pour toutes des images d’horreur qui le poursuivent au cœur de ses cauchemars.

Wong est parti vérifier que ses agresseurs n’avaient pas saboté le Hummer. Ils n’y ont pas pensé… ou bien ils étaient si pressés de rentrer au Club avec leur prisonnier qu’ils ont négligé de le faire. Peggy se les représente sans mal, dans un état d’excitation paroxystique, jubilant comme des adolescents au terme d’un match victorieux.

— Allons-y, fait-elle une fois qu’elle est rhabillée. Je préfère te prévenir : ce sera difficile, Boyett et ses gars sont tout sauf de pauvres infirmes sans défense.

— Je peux leur racheter le requin, hasarde Wong. Très cher…

— Boyett est riche, rétorque Peggy. Il se fout du fric, ce qu’il veut, c’est se venger. Il s’imagine qu’après avoir tué un squale de ses propres mains il pourra recommencer à vivre comme avant son accident. C’est un psychotique, et tous ceux qui l’entourent sont bâtis sur le même modèle. Des revanchards, méchants, violents, bornés. En réalité, ce n’est pas un club, c’est une secte. Quand ils auront massacré le requin, ils se rendront compte que rien n’a changé, que leur vie n’est pas devenue rose pour autant, alors ils se flingueront tous. Boyett leur organisera un suicide collectif, je le vois très bien dans ce rôle.

Ils grimpent dans le véhicule militaire, Wong démarre. La jeune femme lui indique le chemin à suivre.

En dépit de la menace qui pèse sur eux, elle éprouve une curieuse satisfaction à partager le danger avec le Japonais. Une intimité de la peur qui les rend bien plus proches que les jeux sexuels accomplis sur le futon de la grande maison vitrée. Elle pense que les aventures qu’ils vivent ensemble peuvent nouer entre eux des liens solides… pourquoi pas indestructibles ? Mais sans doute se fait-elle des illusions ?

 

*

 

La résidence choisie par Boyett est isolée, perdue dans la nature. Ses occupants n’ont pas à redouter d’indisposer les voisins en faisant trop de bruit. Tout a été prévu en fonction du jour tant attendu de la mise à mort.

Dès qu’ils arrivent en vue de la demeure, Peggy est surprise par le nombre de voitures garées sur le bas-côté de la route. À n’en pas douter, Boyett s’est empressé de diffuser l’information car les adhérents du Club des Dévorés Vifs sont au rendez-vous. Wong arrête le Hummer. Une étrange garden-party se déroule dans les jardins de la propriété. Tous les participants sont des mutilés affligés de prothèses ou arborant d’impressionnantes cicatrices. Ils bavardent avec animation autour d’un buffet en vidant des gobelets de punch ou de bière. Peggy remarque qu’il n’y a là que des hommes. La vengeance est-elle une affaire d’hormones… ou bien les femmes se sentent-elles si diminuées par leurs mutilations qu’elles préfèrent ne pas se montrer ? Au seuil du jardin, elle est saisie par la crainte, c’est elle soudain qui se sent anormale, différente. Elle a honte d’arborer avec insolence un corps en parfait état. Sa présence en ces lieux prend tous les caractères d’un acte d’exhibitionnisme. D’une provocation.

Malgré cela, il faut avancer, s’engager au milieu de ces corps martyrisés, de ces chemises hawaïennes qui bâillent sur d’interminables cicatrices de morsures, de ces bermudas qui contiennent rarement deux jambes entières.

Dès qu’on les aperçoit, le silence se fait. Peggy craignait d’être accueillie par des manifestations d’hostilité mais Boyett a probablement sermonné ses troupes. Les regards sont victorieux, les bouches méprisantes. La voilà donc, cette petite concierge qui leur a tenu la dragée haute pendant des mois ! Elle fait moins la fière à présent ! Mais c’est fini pour elle, la balle n’est plus dans son camp, le Club a gagné. Le requin a été livré, elle n’a plus aucune prise sur eux. Peggy avance lentement. Elle ne voudrait pas leur faire croire qu’elle a peur. Elle regarde droit devant elle, en direction du perron. Une vague crainte lui taraude le ventre, celle d’être lynchée à coups de béquille. Elle ne sait plus ce qu’elle doit faire : fuir ou s’entêter. Elle a horreur de se sentir fautive, comme si elle avait une part de responsabilité dans le malheur de ces gens. Elle n’aime pas leurs visages fermés, enfiévrés par l’alcool, ni cette lueur triomphante, mauvaise, qui brille dans leurs pupilles. Leur haine l’accable. Elle se dit qu’ils vont lui cracher dessus. Il suffira qu’un seul d’entre eux passe à l’attaque pour que tous les autres l’imitent. Elle n’aura pas le temps d’atteindre le seuil de la demeure qu’ils la frapperont, pour la mutiler… pour qu’elle devienne comme eux, elle, l’amie des requins. La déchéance physique les a endurcis. Ils ont pris le parti de la haine pour rester debout, ils s’y sont fortifiés, aidés en cela par Boyett. Ils ne doutent pas une seconde d’avoir raison.

Lorsqu’elle atteint le bout de l’allée, elle n’en revient pas de n’avoir subi aucune agression. Personne n’a soufflé mot.

Seul Borowsky, l’ancien surfeur au pied arraché, ricane ouvertement, assis sur les marches de la véranda.

— Le patron est dans son bureau, lâche-t-il avec effronterie, il vous attend depuis un bon moment. Vous z’êtes pas bien rapide pour une fille qu’a encore ses deux jambes !

Sa sortie provoque une bouffée d’hilarité libératrice. La tension se dissipe en un grand rire méchant où chacun braille plus fort que son voisin. Peggy passe outre et pénètre dans la maison qui fleure toujours la cire d’abeille.

Boyett se tient effectivement dans le bureau. Calé dans son fauteuil roulant, il fume un cigare, un verre de pur malt à la main.

— Chère vaincue ! s’exclame-t-il de sa voix chaude et bien timbrée de prédicateur laïque. Ne nous disputons pas, ce jour est un grand jour, ne le gâchez pas par des invectives. J’ai déjà préparé un chèque de dédommagement. Il est là, sur le bureau. Vous verrez que je n’ai pas lésiné. Je sais que vous allez perdre votre emploi mais il y aura toujours moyen de s’arranger. Je vous dénicherai un engagement dans l’une de mes sociétés. Je ne suis pas un prédateur. Nous vous fournirons un alibi pour la disparition du requin, quitte à organiser un accident qui endommagera le filet… Je pourrai vous trouver des témoins qui affirmeront sous serment avoir vu le « tigre » ficher le camp vers la haute mer, sous leurs yeux. Vous ne serez pas inquiétée.

Il s’interrompt soudain, comme s’il découvrait la présence de Wong.

— Qui est ce monsieur ? Votre avocat ?

Wong s’assied. Il a retrouvé son flegme habituel mais l’hématome qui marque son front le prive en partie de sa prestance.

— L’affaire va plus loin que vous ne le pensez, dit-il en fixant Boyett dans les yeux. Je me fiche du requin, la seule raison pour laquelle je m’inquiète à son propos, c’est qu’il contient quelque chose de très précieux pour moi.

Alors, à mots couverts, il expose le problème du container accroché à la paroi stomacale du « tigre ». Il se garde d’entrer dans les détails. Boyett l’écoute avec une moue amusée, signifiant qu’il n’est pas dupe de cette fable abracadabrante.

— Vous êtes en danger, conclut le Japonais. Nous sommes tous en danger. Les gens qui s’intéressent à ce container vont venir le récupérer, et rien ne les en empêchera. Pas même votre qualité d’infirme. Ils n’ont pas pour habitude de s’arrêter à ce genre de chose. Il y a sûrement un moyen de s’entendre. Tuez le requin si vous le souhaitez, coupez-le en rondelles, peu m’importe, mais ne faites rien qui porterait préjudice au cylindre coincé dans son estomac. Pas de coup de fusil, pas d’explosion… Une fois le squale mort, laissez-moi la possibilité de prélever le container dans ses entrailles et vous n’entendrez plus parler de moi. C’est tout. C’est peu de chose, je pense que ce compromis pourrait nous contenter, vous comme moi.

Boyett crache avec ostentation une miette de tabac en direction de son interlocuteur.

— Pas du tout, cher monsieur ! grogne-t-il. Vous n’y êtes pas du tout. La mise à mort du requin n’est pas une espèce de corrida pour aficionados, c’est un acte thérapeutique qu’on ne peut aménager, au petit bonheur. Il n’est pas question d’affaiblir la portée symbolique de la cérémonie en se contentant d’un banal lynchage. Votre solution est grotesque, c’est comme si vous me disiez : « Prions gentiment ce requin de faire son autocritique et restons-en là. » Nous ne sommes pas plus aux Alcooliques Anonymes qu’à l’Association des Squales Repentants ! La thérapie ne fonctionnera qu’à la condition que nous réduisions cette saloperie vivante en menus morceaux. Tout est prévu : quand nous aurons fini de le torturer avec nos harpons, nous lui fourrerons dans la gueule une bombe à retardement enveloppée de 10 kilos de viande de bœuf. Nous tenons à ce qu’il crève en mangeant ! Nous voulons le voir partir en miettes à son tour, s’envoler au-dessus de nos têtes en une myriade de steaks tournoyants. Ce sera notre feu d’artifice, l’apothéose qui nous soulagera de nos malheurs.

Il doit s’interrompre, à court de salive. Il pointe son cigare éteint vers Wong.

— Vous n’y pigez rien, hein ? siffle-t-il avec un mépris non dissimulé. Personne ne peut se mettre à notre place, nous ne parlons pas le même langage, nous ne vivons pas sur la même planète. Pour vous, un requin c’est simplement une bestiole pleine de dents ; pour nous, c’est Satan, la bête du fond des âges, un monstre qui a survécu à 200 millions d’années d’évolution. C’est le dernier des dinosaures, comprenez-vous ? Et il s’imagine faire toujours partie de la race des seigneurs… Dans le temps, les bourreaux jouissaient d’un curieux privilège : ils avaient le droit de se servir sans payer ni rendre de comptes dans les boutiques de la cité où ils officiaient. Le requin se croit investi du même droit. Il est grand temps de lui apprendre que les choses ont changé.

Wong lève les paumes en signe d’apaisement.

— Je respecte vos croyances, murmure-t-il. Mais je tiens à attirer votre attention sur le fait que la destruction du requin entraînera des représailles terribles pour vous et les vôtres. N’abîmez pas le container…

— Je me fous de votre minable histoire de trafic, ricane Boyett. Vous n’êtes qu’un épicier de la drogue, moi j’ai charge d’âmes.

Il écarte les bras pour désigner la foule encombrant le jardin.

Peggy contourne le bureau et s’approche de la baie vitrée donnant sur l’arrière de la maison. La piscine est là ; la « baignoire » qui a servi au transport du requin a été renversée sur la pelouse. Le squale parcourt nerveusement son nouvel habitat.

Le bassin a beau être vaste, il reste trop petit pour lui. Les requins détestent tout ce qui ressemble de près ou de loin à une cuve, ils y deviennent rapidement fous. Des harpons ont été regroupés en faisceaux, telles des lances dans un camp de légionnaires romains. Sur une table, on a aligné toutes sortes d’hameçons et de crochets existant à ce jour. Les outils ont été fourbis pour la mise à mort. Elle repère même quelques-uns de ces grands tranchoirs qu’on utilisait jadis pour saigner les baleines et les affaiblir. La panoplie du carnage brille au soleil. Dans le fond, à l’ombre, on a dressé un buffet avec des rafraîchissements.

La nageoire dorsale du « tigre » crève la surface et trace un sillage mousseux sur toute la longueur du bassin. La jeune femme croit percevoir un choc sourd se répercutant dans le sol. Le squale a commencé à se cogner la tête contre les parois de la piscine. L’exiguïté de sa prison lui porte sur les nerfs. Quand il sera lassé de s’y meurtrir, il se laissera couler au fond, et attendra sagement la mort.

Dans le bureau, les deux hommes sont au bord de l’empoignade.

— Vous ne pouvez rien contre nous ! hurle Boyett. Si vous appelez la police ou les gens du laboratoire, nous prétendrons que vous nous avez livré le requin de votre plein gré, contre une grosse somme d’argent. J’affirmerai que la proposition venait de vous, et de vous seuls ! Je déclarerai aux journalistes que vous êtes à l’origine de cette idée de thérapie par le massacre… Qui croira-t-on à votre avis ? Nous ne sommes après tout que de pauvres infirmes, des créatures blessées, naïves, prêtes à se raccrocher à n’importe quelle fable. Vous ferez figure d’escrocs, de charlatans !

— Arrêtez ! lance Peggy. Ça suffit.

Boyett s’éloigne d’eux. Ses éclats de voix ont alarmé les adhérents. Un à un, ils ont envahi la maison pour s’assurer qu’on ne maltraitait pas leur chef. Ils sont là, encombrant les pièces, les couloirs, garde prétorienne de corps souffrants.

Boyett éclate de rire. Il se sent fort. La colère l’a quitté. Au milieu de son armée, il est invulnérable.

— Restez ou partez, je m’en fiche, lance-t-il à Peggy. La cérémonie va commencer. Si vous avez encore un peu d’humanité, laissez le rituel se dérouler en paix, il y va de notre salut à tous. Donnez-nous une chance de redevenir des hommes normaux, vous qui connaissez la joie insolente d’être encore entière !

Il esquisse un mouvement tranchant de la paume en direction de la piscine, tel un général donnant le signal de la charge, et vocifère : « Allez, mes frères, l’heure de la revanche a sonné ! »

La foule des éclopés se rue à sa suite. La baie vitrée coulisse, les béquillards envahissent le jardin, bousculant Wong et Peggy. L’Asiatique, dans un réflexe désespéré, a sorti son arme, le gros Sigma 40, mais il reste stupide, l’automatique inutilement brandi. Personne ne lui accorde un regard, personne n’a peur de lui. Que pourrait-il faire, du reste, contre tous ces gens galvanisés par l’imminence du carnage ?

« C’est foutu », songe la jeune femme tandis qu’une immense fatigue s’abat sur ses épaules. Les membres du Club se sont regroupés autour des faisceaux, chacun s’empare d’un harpon. Boyett s’est servi le premier avec fébrilité. Il a fait rouler son fauteuil jusqu’au bord de la piscine. « Trop près du bord », pense Peggy. Maintenant il attend que tout le monde soit équipé, son arme en travers des cuisses. La jeune femme prend la mesure de son impuissance. Elle ne peut plus rien tenter pour enrayer la machine. Elle éprouve un frisson étrange à voir ces malheureux au corps brisé et néanmoins farouches, armés jusqu’aux dents, les traits animés d’une fureur proche de la transe.

Ils se rassemblent, ils encadrent la piscine de tous côtés. Peggy ne distingue plus le bassin. Elle décide de grimper à l’étage supérieur pour voir ce qui va suivre. Wong lui emboîte le pas. Ils se surprennent à courir dans les escaliers. Une fois en haut, d’un même mouvement, ils se précipitent à la fenêtre. Les harponneurs entourent la piscine au centre de laquelle le requin se débat, prisonnier d’un espace trop étroit.

— Le jour est arrivé ! hurle Boyett en levant le harpon a deux mains au-dessus de sa tête. Notre heure a sonné. Sang pour sang ! Chair pour chair ! La délivrance, mes frères ! La délivrance !

Sa voix chavire comme s’il était sur le point de fondre en larmes. Peggy ne parvient pas à déterminer s’il joue la comédie ou s’il est réellement au comble de l’exaltation. Il l’a tant exaspérée au cours des derniers mois qu’elle a choisi de voir en lui un charlatan, un prédicateur comme il y en a des milliers aux États-Unis, à cheval entre le fanatisme et l’imposture. Et si elle s’était trompée ?

Brusquement, elle le trouve pathétique, attendrissant ; sa beauté physique n’y est pour rien, cela tient plutôt à l’expression d’intense souffrance qui ravage ses traits maintenant qu’il a tombé le masque du cover-boy cynique.

— Vengeance ! hurle-t-il. Œil pour œil ! Œil pour œil !

— Œil pour œil ! reprennent en chœur les infirmes massés autour du bassin.

Boyett frappe le premier coup avec tant de puissance qu’il manque de tomber de son fauteuil dans l’eau. Un peu de sang s’échappe de l’entaille ouverte sur le dos du requin, pas beaucoup… Le cuir denticulé est trop résistant pour céder aussi facilement. Alors commence le harcèlement. Tous s’y mettent, chacun y allant de son coup de lance. Dès que le squale frôle l’une des parois du bassin, il est lardé d’entailles peu profondes mais qui, en raison de leur nombre, lui lacèrent les ailerons, la queue. S’il restait au milieu de la piscine, il se mettrait hors de portée des pointes de fer mais il n’est pas assez intelligent pour s’en rendre compte. Dès qu’il est agressé, il fuit en sens contraire, se jetant à la rencontre d’une nouvelle ligne de harponneurs.

Peggy songe que Larker Boyett n’a fait, somme toute, que ressusciter une vieille coutume de la marine à voiles ; celle par laquelle les matelots se libéraient de la peur que leur inspirait leur ennemi juré.

L’eau de la piscine vire au rose. Le requin tourne en rond, laissant derrière lui une multitude de sillons sanglants que les battements de sa queue diluent aussitôt. Les harpons se lèvent et s’abaissent… se lèvent, s’abaissent… Parfois, un homme glisse, ses compagnons le rattrapent de justesse. Il faut frapper vite, bien… et surtout retirer en hâte son fer de la plaie, sinon on risquerait d’être entraîné par le mouvement giratoire du squale qui nage à une vitesse stupéfiante. Deux harpons sont restés fichés de part et d’autre de la nageoire dorsale, ce qui lui donne l’allure d’un taureau à l’échine criblée de banderilles. Les hommes se sont mis à hurler à pleins poumons et l’ambiance rappelle celle d’un match de base-ball. L’eau est de plus en plus rouge ; quand le requin amorce un demi-tour, il crée des remous qui aspergent ses agresseurs. Le sang dilué du « tigre » coule alors sur les visages des exécuteurs.

Boyett est le plus acharné de tous. Son fauteuil tremble sous l’effet de ses gesticulations. Une haine jubilatoire lui déforme le visage. Il est dans un tel état d’excitation qu’on le devine près de sauter dans la piscine pour mieux frapper l’ennemi. Peggy a envie de lui crier : « Attention ! Pas si près du bord ! » comme l’on fait avec les enfants.

Le rituel se poursuit sans que la lassitude s’empare des participants. Frapper le squale devient difficile car l’eau de la piscine est de plus en plus rouge et l’on n’y voit plus grand-chose. Boyett s’arrête enfin. Sa peau, telle celle des stigmatisés, paraît recouverte d’une sueur de sang. Il manœuvre son fauteuil en arrière, hurle un ordre. Les hommes cessent de fouiller le bassin du bout de leur fer. Ils sont tous hagards, titubants. Certains ont du mal à respirer. Ils battent en retraite, se heurtant les uns les autres, les mains poissées par le sang qui coule sur la hampe des harpons.

Boyett a jeté son arme, il se dirige vers une glacière posée sous la table du buffet. Il l’ouvre. Enfoncé dans la glace pilée : un énorme morceau de viande maintenu roulé par un fil de fer.

— C’est la bombe ! souffle Peggy. Ils vont la faire avaler au « tigre ».

Les adhérents de l’EAC se rassemblent autour de leur chef qui leur explique le fonctionnement de la machine. Ses doigts courent sur un cadran gradué. Peggy le voit faire tourner un curseur. Cela ressemble à un minuteur de cuisine. Une diode rouge se met à clignoter. Boyett lève l’appât au-dessus de sa tête, pour que tous puissent le contempler, puis il leur fait signe de retourner à la piscine.

C’est alors que l’un des participants s’affaisse sur lui-même comme s’il était victime d’un malaise. Ses camarades ont à peine le temps d’ébaucher un mouvement dans sa direction qu’un second adhérent s’effondre… Ont-ils présumé de leurs forces ? Va-t-on assister à une épidémie d’infarctus ?

Non, car cette fois Peggy a vu la tache rouge exploser sur la chemise du malheureux.

— On lui a tiré dessus ! balbutie-t-elle.

— C’était inévitable, souffle Wong. Les gens pour qui je travaille ne laisseront pas ces dingues détruire le container.

Peggy songe à ceux qu’elle a toujours surnommés les « ninjas de caoutchouc ». Ils sont là ! Ils ont investi le Club et tirent sur les sacrificateurs en utilisant des réducteurs de son. En tendant l’oreille, elle parvient à repérer le plop assourdi des détonations. Elle ne voit pas les assaillants, sans doute dissimulés par la végétation. Ils font feu comme au stand de tir, abattant leurs cibles sans difficulté. Mais les amis de Boyett se sont déjà ressaisis. Certains ont renversé la table du buffet pour s’en faire un rempart, d’autres se sont aplatis derrière un muret, ou le cube de brique d’un gros barbecue. Ils ouvrent le feu à leur tour, car beaucoup sont armés. Rien d’étonnant à cela, Peggy n’ignore pas que les handicapés, se sentant plus vulnérables que les autres citoyens, ont pris l’habitude de ne plus se hasarder dans les rues de Miami sans emporter une arme, ceci afin de décourager les voyous qui seraient tentés de voir en eux des proies faciles. Un feu roulant réplique aux salves silencieuses des agresseurs invisibles.

— La bombe ! balbutie la jeune femme en enfonçant ses ongles dans le bras de Wong.

Le paquet de viande piégé est resté sur l’herbe, là où Boyett l’a abandonné avant de se mettre à l’abri, et le minuteur poursuit sa course à rebours. Il va exploser au milieu du jardin et non au cœur du bassin dont les parois auraient absorbé la déflagration. Peggy n’a aucune idée de la force de l’engin. Boyett, tenant compte du milieu liquide, a dû le prévoir assez puissant, surtout s’il voulait voir les débris du squale s’élever en tourbillonnant dans les airs, comme il l’a plusieurs fois affirmé.

Dehors les coups de feu claquent, tout le monde semble avoir oublié la présence du colis d’explosifs. D’ailleurs, Boyett voudrait-il le récupérer qu’il n’y parviendrait pas car le tir des agresseurs le tient cloué derrière la table du banquet.

— Ça va sauter, lance Wong, il faut s’éloigner des fenêtres. Toutes les vitres vont être soufflées. Vite ! Peggy recule. Wong la saisit par le poignet et l’entraîne derrière un canapé. La jeune femme se recroqueville en se bouchant les oreilles pour ne pas avoir les tympans crevés par la détonation. La fusillade, ainsi amortie, évoque un concert de bouchons de champagne. Et soudain c’est l’explosion, un souffle furieux balaie la maison, les fenêtres sont éjectées de leur encadrement, les vitres se changent en une mitraille de débris qui lacèrent les meubles et la tapisserie. Les tessons se fichent dans le canapé de cuir, une odeur âcre de produit chimique emplit l’air. Peggy sent ses yeux et sa gorge agressés par cette fumée acide qui la fait tousser, pleurer. Wong la secoue, lui signifiant qu’il ne faut pas rester là. La maison a beau être isolée, les coups de feu et l’explosion ont forcément été entendus par quelqu’un. La police va débarquer d’une minute à l’autre.

Peggy se redresse, examine la pièce saccagée par le souffle. Les fenêtres gisent sur la moquette, arrachées de leurs charnières. Le canapé a été poignardé par les tessons des vitres, les rideaux ont pris feu. La fumée est en train de remplir la pièce, les flammes lèchent le plafond.

Wong se précipite dans l’escalier. Tout est fichu, impossible de récupérer le requin avec la menace de la police qui va faire irruption, toutes sirènes hurlantes.

 

*

 

Boyett ne perçoit plus qu’un sifflement continu qui lui traverse le crâne d’un tympan à l’autre, comme si ses oreilles avaient été transpercées par une aiguille à tricoter sonore. L’explosion l’a épargné mais tous n’ont pas eu cette chance. Un entonnoir de 7 pieds s’est ouvert au milieu de la pelouse, expédiant une mitraille de terre et de cailloux à une centaine de mètres à la ronde. Le souffle a frappé la maison de plein fouet et déraciné les arbustes, dont certains ont pris feu. Beaucoup de membres du Club ont été blessés par les débris voltigeant dans les airs. Quant aux mystérieux agresseurs, l’onde de choc les a tués ou mis en fuite car ils ont cessé de tirer. Boyett perçoit tous ces détails à travers le voile rouge de la stupeur et de la déception. Il sait que s’il ne peut mener la cérémonie à son terme, il ne guérira jamais. Plus jamais il n’aura l’occasion comme aujourd’hui de mettre à mort un requin, plus jamais… Il doit aller jusqu’au bout, coûte que coûte !

Il ne pense à rien d’autre, ni à la maison en feu, ni aux blessés qui gémissent couchés dans l’herbe, le corps criblé d’éclats… Il ne sait qu’une chose : il doit achever le requin avant l’arrivée de la police ; après il sera trop tard, on ne le laissera plus s’approcher du bassin.

Il veut guérir, il veut se débarrasser de la malédiction qui pèse sur lui.

Il a soudain une illumination. S’élançant sur son fauteuil roulant, il file au fond du jardin, là où est garée la Land Rover qu’il utilise d’ordinaire pour se déplacer d’un État à l’autre. Il déverrouille le treuil installé au-dessus du pare-chocs avant et tire le câble jusqu’à la piscine. Sur l’une des tables disposées à l’intention des invités, il rafle un gros hameçon à requin, y pique l’un des lambeaux de viande que l’explosion a éparpillés sur l’herbe et attache le tout au bout du câble d’acier du treuil. Sa ligne achevée, il la jette dans le bassin. Il a la certitude que le squale ne pourra s’empêcher d’y mordre, en partie parce que l’odeur et le goût de son propre sang l’ont mis en appétit. Ces préparatifs n’ont pas demandé plus de deux minutes à Boyett. Il agit en état second, porté par une énergie surnaturelle. Il lui semble qu’il jouit d’une lucidité extraordinaire, surhumaine. La nageoire dorsale du « tigre » fend l’eau rougie en direction de l’appât. La ligne se tend en vibrant. Le monstre est ferré. Le crochet de 20 centimètres s’est enfoncé dans son palais. Il faut agir vite, avant qu’il ne se mette à tirer sur la ligne.

Boyett fait pivoter son fauteuil et roule vers la Land Rover. Il ne prête aucune attention à ce qui se passe autour de lui. Dès qu’il est près du véhicule, il abandonne son siège d’infirme et se hisse au volant. Ses mains tremblent d’excitation. Soit, il n’a pas réussi à faire exploser le squale, mais il peut le mettre en charpie d’une autre façon ! Rien n’est encore perdu.

Il démarre. En défonçant la clôture, il peut sortir par l’arrière du jardin et filer sur la route, jusqu’à Key Largo… Le requin va suivre ! Le câble va le faire sortir de la piscine et le traîner dans le sillage de la Land Rover, les aspérités de la chaussée feront le reste, lui arrachant la peau, la viande, le dépeçant jusqu’à ce que son squelette mou ne soit plus lui-même qu’un chapelet de vertèbres. Cette perspective met Boyett au bord de la transe. Il imagine le requin s’éparpillant, se défaisant, écorché vif, usé jusqu’aux entrailles par le frottement des plaques de ciment du sol. Finalement c’est peut-être encore mieux que l’explosion initialement prévue !

La Rover enfonce la clôture sans plus de difficulté qu’un décor de carton. Boyett conduit en surveillant le rétroviseur. Il a peur, l’espace d’un instant, que le requin ne soit trop lourd pour le câble, mais il a la joie brutale de voir le « tigre » jaillir de la piscine, traverser la pelouse et se ruer a sa poursuite. Il accélère. Il veut avoir eu le temps d’écorcher entièrement le squale quand la police l’arrêtera. Ce n’est qu’à cette condition qu’il redeviendra un homme normal, il le sait.

Il roule, le pied au plancher. Le requin se tortille en vain, sa peau s’en va, le frottement lui arrache les ailerons, la queue, les organes sexuels… Boyett est aux anges. Il rit et pleure tout à la fois. C’est une vraie bénédiction que la bombe n’ait pas explosé dans la piscine, sa joie n’aurait pas été aussi vive.

Peggy et Wong se sont lancés à la poursuite de Boyett dès qu’ils ont compris ce qu’il projetait. Le Hummer roule maintenant dans le sillage du requin qui se défait. Des morceaux de chair ensanglantée rebondissent sur le capot de la Jeep pour venir s’écraser sur le pare-brise. La route agit comme une meule, usant l’épiderme et les muscles du « tigre ». Un long sillon rouge s’inscrit dans la poussière. Wong veut à toute force récupérer le squale avant que ce dingue de Boyett ne se fasse arrêter par la police. Pour le moment la route est déserte mais une patrouille peut surgir à tout instant. Les essuie-glaces tournent en marche forcée pour essayer de nettoyer les débris qui maculent le pare-brise. Peggy ne sait pas combien de temps le requin tiendra à ce régime. S’il continue à s’éparpiller à ce rythme, le risque est grand qu’il ne perde le container en même temps que ses entrailles.

La jeune femme n’ose se pencher à la portière de peur d’être giflée par les morceaux du requin qui voltigent en tous sens.

Enfin, Boyett commet une erreur de conduite, rate son virage et part dans le fossé. La Land Rover pique du nez dans le talus, le moteur cale. Wong freine et bondit à l’extérieur. Avant de descendre, il a pris dans la boîte à gants un poignard de plongée à lame dentelée. Il court, Peggy lui emboîte le pas. Le « tigre » est dans un état pitoyable mais semble toujours en vie. Ce n’est plus qu’un fuseau de chair vive, une torpille sanglante privée d’ailerons comme de queue. Le frottement de l’asphalte a ouvert de grandes brèches dans ses flancs, des trous par lesquels on peut apercevoir ses organes internes.

L’odeur est épouvantable. Wong se penche sur la bête mais il s’y prend mal, Peggy doit venir à son secours. Il ne lui faut pas longtemps pour repérer le cylindre qui émerge d’un magma de débris en cours d’assimilation. Comme le supposait la jeune femme, Brandon l’a enveloppé d’un filet de Nylon équipé d’hameçons, ceux-ci – à peine le container avalé – se sont plantés dans les parois de la vaste poche stomacale. Peggy essaie de retenir sa respiration. Dans son dos, Wong la supplie de se dépêcher, les flics peuvent débarquer à tout moment. À l’aide du poignard de plongée, elle cisaille le filet. Le tube de métal, gluant de sécrétions gastriques, lui file entre les doigts. Elle voit venir le moment où elle va devoir entrer tout entière à l’intérieur de l’animal, s’enfoncer jusqu’aux chevilles dans l’énorme foie huileux pour récupérer l’étui récalcitrant.

Elle émerge enfin. Wong lui arrache le container des mains. Il essaie de l’ouvrir mais le boîtier est trop visqueux, barbouillé par l’huile suintant du foie crevé, cette huile si abondante (si convoitée !) qui assure la flottabilité des requins. Il ne parvient pas à en dévisser les deux moitiés qui lui glissent entre les doigts.

Une sirène retentit, se rapprochant à vive allure. Wong et Peggy courent vers le Hummer et s’éloignent au plus vite, abandonnant le requin émietté au milieu de la route, et Boyett, coincé derrière son volant, sans connaissance.

La voiture de patrouille montant de Key West les frôle trente secondes plus tard. Les flics ne leur prêtent aucune attention, ils semblent hypnotisés par le spectacle du squale sanglant échoué sur l’asphalte.

Wong roule une dizaine de minutes en jetant de fréquents coups d’œil dans le rétroviseur puis sort de la route pour s’engager dans un bouquet de palmiers. Avec un chiffon il nettoie le cylindre et parvient enfin à le dévisser. Peggy cesse de respirer. Le container est vide.

Baignade accompagnée
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